Kiné

[Travailleurs indépendants] « La liberté n’a pas de prix »

ÉPISODE 6 : ÉLODIE PERIANIN, KINÉ LIBÉRALE

Dans le cadre d’une enquête sur le travail des indépendants à La Réunion, je rencontre des professionnels de différents secteurs d’activités. Avant la conclusion finale de l’enquête, j’ai le plaisir de vous proposer des extraits de mes rencontres avec certains d’entre eux. Aujourd’hui, Élodie Perianin, une kiné fière et heureuse de voler de ses propres ailes.

Elodie Perianin est installée en entreprise individuelle (EI ) aux Avirons. Kinésithérapeute, elle pratique aujourd’hui des soins dits « complémentaires » ou « alternatifs ». Sur sa carte professionnelle est indiqué : «  microkiné, fasciathérapie, micronutrition, lecture akashique  ».

Elodie Perianin kiné
Élodie Perianin s’épanouit dans son cabinet des Avirons.

À son cabinet, l’accueil indique la présence d’autres professionnels de santé, et dans sa salle de praticienne trône une table de massage. La petite pièce est claire. L’aménagement ne fait pas oublier qu’on n’est pas dans un hôtel ou un lieu pour vacanciers en quête de relaxation. Mais l’ambiance est suffisamment sereine pour s’isoler du bruit des voitures qui passent tout près. On se sent loin de l’agitation. La porte se ferme pour un moment à soi.

La médecine va bien

Ainsi, à cet endroit, on voit avec les affiches aux murs, le tableau de correspondance à disposition des patients, la grosse plante suspendue et le mobilier juste nécessaire, que la professionnelle a acquis la « médecine » telle que le centre national de ressources textuelles et lexicales (CNRTL) la définit: « la science qui a pour objet l’étude, le traitement, la prévention des maladies, (l’) art de mettre, de maintenir ou de rétablir un être vivant dans les meilleures conditions de santé ».

Quand elle me reçoit pour un échange sur son statut d’indépendant, j’ai l’impression de me préparer à rencontrer le bien être.

Élodie a lancé sa propre activité en mai 2022. Elle a déjà cependant douze ans de métier. Elle a toujours exercé en libéral. 

Les stages et autres passages dans les institutions de santé durant sa formation à l’école ont suffi pour la convaincre de ne pas exercer en tant que salariée. Des expériences qui lui ont laissé le souvenir de soignants sous pression hiérarchique, de soignants étouffés sous le poids de la paperasserie, de soignants slalomant dans un quotidien de « ragots à la Grey’s Atanomy », et un monde hospitalier où l’intérêt financier passe souvent avant l’humain.

Pendant ses études, Élodie a ainsi vu le travail des kinés en Ehpad, en cliniques privées et publiques, en centres de rééducation. Elle a aussi découvert ces innombrables, et surtout longues, réunions interdisciplinaires nécessaires à la coordination des services.

Dès la validation de son diplôme d’État, elle choisit donc le libéral. De nombreux témoignages de salariés du monde de la santé montrent aujourd’hui que ce n’est pas sa jeunesse de l’époque qui a biaisé sa vision de la gestion institutionnelle dans ce secteur d’activité.

Pour autant, Élodie ne dit pas que le statut d’indépendant est simple et facile.

C’est « verrouillé »

D’abord, il faut choisir son type d’entreprise, comme tous les indépendants  : l’EI (entreprise individuelle), qu’a choisie Elodie, ou la SCM, la SCI, etc. Puis, son statut professionnel  : collaborateur, remplaçant ou titulaire. Le collaborateur bénéficie du local, du matériel et des patients d’un autre professionnel à qui il rétrocède entre 25 et 30% de son chiffre d’affaires. L’enregistrement en libéral en qualité de remplaçant demeure plus accessible en raison des quotas imposés aux candidats à l’installation. Aux Avirons, pour le moment : c’est « verrouillé ».

Bien entendu, tous sont concernés par les diverses obligations de paiement des charges sociales et des taxes professionnelles et n’ont pas de congés payés. Jusqu’à il y a peu, le délai de carence pour les congés maladie était de 90 jours. En revanche, ils perçoivent des indemnités en cas de congés de maternité, « comme les salariés ».

Les impôts sur le revenu sont prélevés automatiquement et il était nécessaire d’adhérer à une association agréée de comptabilité pour éviter une majoration du bénéfice imposable de 25%. Heureusement, ce dispositif disparaît enfin en 2023.

Alors que la constitution européenne semble accorder aux indépendants le droit de choisir leur caisse de retraite, en France, l’adhésion à la Carpimko est obligatoire. Elle s’élève à environ 15% du salaire du praticien. Elle n’est « pas très chère », mais ne « paye pas très bien ». Élodie chiffre par ailleurs la part totale de ses charges à environ 40% de ses revenus, sans compter les « consommables ». 

Un « oiseau voyageur »

Son « héritage » personnel, en l’occurrence les bons conseils d’une maman comptable et d’un papa DRH, lui permet de réaliser une gestion raisonnée des revenus de son activité. Cependant, elle me dit entendre souvent la confusion de bon nombre de ses collègues face aux subtilités administratives parfois à décoder à partir de minuscules astérisques : « sous réserve de ». Entre autres anecdotes, elle me raconte qu’une de ses collègues a préféré ne pas réclamer un « trop versé » à la Sécurité sociale, et du coup aux impôts, pour éviter de remplir les formulaires inhérents à la réclamation. Élodie elle-même a dû rendre, post-COVID, une aide versée par la Sécurité sociale parce que son calcul avait était refait à posteriori.  .

Mais pour Élodie : « la liberté n’a pas de prix ». Elle ne regrette pas d’avoir créé son métier, avec sa personne et avec ses mains. Le travail pour elle se confond avec « un chemin de vie, une source d’apprentissage quotidien et d’épanouissement personnel ». 

Dans son cas, l’attention est portée sur la qualité du soin qu’elle offre selon un planning qu’elle gère, non sur l’enchaînement d’un nombre suffisant, c’est-à-dire rentable, de clients ou sur la réponse toujours incertaine de la hiérarchie sur l’autorisation des dates de congés. 

Bien que la bascule du métier vers l’incertitude financière reste périlleuse, en ce qu’elle demande de passer du « remboursé » au « non remboursé », le kiné demeure un praticien libre et mobile qui ne se laisse pas enfermer dans des barrières financières mentales.

Selon elle, le statut d’indépendant correspond au profil du kiné vu généralement dans la profession comme un « oiseau voyageur ».  Élodie est donc un oiseau voyageur, mais un oiseau rigoureux et délicat qui accueille dans un nid serein. À tite paille, tite paille la santé va planer. 

Alice Dubard

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