COMMISSION D’ENQUÊTE PARLEMENTAIRE SUR LE COÛT DE LA VIE DANS L’OUTRE-MER
Face à la commission d’enquête parlementaire, l’Observatoire des prix, des marges et des revenus affiche toute son impuissance à percer l’opacité des circuits commerciaux responsables de la vie chère. L’occasion de demander de la considération, un vrai budget et une loi pour obliger les entreprises à livrer leurs chiffres.
Voyage virtuel à Paris ce jeudi 30 mars en compagnie des députés Frédéric Maillot, Jean-Hugues Ratenon, Philippe Naillet (qui était sur place) et de l’équipe de l’Observatoire des prix, des marges et des revenus (OPMR ): le président Bertrand Huby, le vice-président Jocelyn Cavillot et le secrétaire général Pascal Fortin.
Ce petit monde participe à la commission d’enquête sur le coût de la vie dans les collectivités territoriales d’outre-mer, créée le 9 février dernier. Le sujet est sensible. Les auditions se succèdent et celles sur l’OPMR a d’emblée montré à quel point l’opacité sur la constitution des prix et des marges a de beaux jours devant elle. Quelques petits signes transparaissent durant l’audience et révèlent les faiblesses du dispositif censé rétablir une certaine justice sociale vis-à-vis du coût de la vie.
Ça commence par le lapsus du président de l’Observatoire, par ailleurs magistrat de la Chambre régional des comptes. Au lieu de jurer de dire toute la vérité, comme le rapporteur de la commission le lui demandait, Bertrand Huby a déclaré qu’il respecterait la « confidentialité des débats ». Alors même que cette audition est publique et ré-écoutable sur le site de l’Assemblée nationale…
Par la suite, le magistrat déplorera à plusieurs reprises « le secret des affaires » qui est opposé à l’Observatoire, « tant à La Réunion qu’à Bercy », par exemple lorsqu’il sollicite le service des douanes pour connaître le prix des marchandises à l’arrivée sur l’île. « Les entreprises préfèrent payer les amendes plutôt que déposer leurs comptes », rappelle-t-il.
Même pas d’ordinateur
En fait, ça bloque de partout. Du côté des groupes commerciaux et du côté des cercles de pouvoir. Ça bloque et ça grince comme le signale également cet incident de séance durant lequel le président de la commission, le député EELV Guillaume Vuilletet, finit par interrompre Bertrand Huby alors que celui-ci est parti dans une diatribe contre le manque de moyens dont souffre l’Observatoire : « Nous n’avons pas de local, même le président est obligé de travailler sur son propre ordinateur portable personnel »… Et clic : micro coupé.
Auparavant, le président a évoqué l’absence de budget propre à l’OPMR qui doit se contenter du bon vouloir de la préfecture de La Réunion et d’une seule étude annuelle. La dernière sur « l’état des lieux du marché de la grande distribution » avait fait grand bruit. Son auteur, Christophe Girardier, évoquait les risques d’une « économie extrêmement concentrée ». Et Bertrand Huby de plaider pour disposer de quoi payer de nouvelles études entre 25 000 et 30 000€. On en est là.
Il révèle que l’Autorité de la concurrence — celle-là même qui a validé le rachat de Vindemia par le Groupe Bernard Hayot (GBH) — n’a pas autorisé l’OPMR à auditionner le mandataire qui suit le déroulement du plan de rachat des quatre hypermarchés Run Market par le groupe mauricien IBL. « Cette Autorité ne tient pas trop à jouer le jeu d’un dialogue avec l’OPMR », assène-t-il.
Jocelyn Cavillot, le vice-président, dénonce lui aussi les limites de la transparence sur les prix des carburants pourtant réglementés. « La préfecture arrête un prix qui est moins élevé qu’en France parce que la fiscalité est moins forte, mais nous ne pouvons pas analyser finement les marges. En revanche, nous constatons que toutes les stations s’alignent sur ce prix plafond, personne ne propose un prix inférieur, c’est le signe que pour certains, c’est un effet d’aubaine. »
Il déplore la lenteur des procédures pour faire face à des situations anti-concurrentielles. La direction des fraudes est compétente pour relever une infraction mais l’instruction d’une enquête est confiée à une brigade basée à Paris : « Entre le constat de l’infraction et l’instruction d’une enquête, il peut se passer deux à trois ans », résume-t-il.
Contraindre les entreprises à donner leurs chiffres
Au député Philippe Naillet qui demande quelles sont les conséquences de la situation de duopole GBH-Leclerc dans la grande distribution (65% des parts de marché), Jocelyn Cavillot répond que GBH s’est vu confier « un pouvoir de marché considérable sur les fournisseurs et la production locale ». Le groupe antillais est en effet présent partout : hypermarché, bricolage, sport, automobile, pneus, produits laitiers…
Cependant, depuis le rachat de Vindémia, les prix sont restés stables. « On observe que les prix augmentent moins vite qu’ailleurs, répond Pascal Fortin. C’est vrai qu’on part de prix plus élevés en valeur absolue ». Bertrand Huby relate que « les deux grands se sont fait la guerre des prix pour rayer de la carte le nouvel entrant (Run Market). Mais une fois le duopole consolidé, on peut s’attendre à une hausse des prix et un accord implicite entre eux. Mais il nous faudrait un budget supplémentaire pour mesurer les conséquences du rachat des quatre hypermarchés par le groupe mauricien. »
Comment cet Observatoire sans réel pouvoir, si ce n’est celui de saisir l’Autorité de la concurrence et de donner son avis sur la mesure sociale du Bouclier Qualité Prix (BQP – seulement 3% des produits commercialisés), pourrait-il devenir plus efficient ?
« Au minimum, il faudrait consolider notre rôle en nous désignant co-auteur du BQP, conclut Bertrand Huby. Il insiste sur l’attribution d’un budget propre à l’Observatoire pour lancer toutes les études nécessaires. Surtout, l’Observatoire demande que les enquêtes sur les situations anti-concurrentielles puissent être menées directement à La Réunion. Il implore les députés de légiférer pour renforcer la contrainte sur les acteurs commerciaux. « Cela fait vingt ans qu’on remplit des fiches pour obliger les entreprises à fournir des informations sur leur comptabilité suffisamment globalisées pour respecter le secret des affaires et ne pas mettre en danger leurs stratégies commerciales. Mais il faut une volonté forte pour avoir un cadre nous permettant d’accéder à un niveau suffisant d’informations ».
Franck Cellier