[Vie chère] Le grand écart de la commission d’enquête

« ON CRÈVE LA BOUCHE OUVERTE », CONCLUT LE DÉPUTÉ FRÉDÉRIC MAILLOT

Deux ministres qui se contredisent pour formuler des propositions de lutte  contre la vie chère, le « secret des affaires » opposé à la quête de transparence sur les marges… Les auditions de la commission d’enquête parlementaire sur la vie chère en Outre-mer se terminent dans une impasse.

Il faut croire que le ministre de l’Économie et le ministre délégué aux Outre-mer ne se sont pas concertés avant de passer devant la commission d’enquête parlementaire sur le coût de la vie dans les outre-mer. Dans le cadre d’une enquête policière, on pourrait s’en réjouir pour l’établissement de la vérité. C’est en revanche inquiétant quand il s’agit de la politique gouvernementale.

Mercredi, Jean-François Carenco annonçait vouloir classer La Réunion en « zone franche totale » pour favoriser l’emploi, donc les revenus et ainsi rendre plus supportables les surcoûts de la vie qui, disait-il « pourrissent la vie des Ultramarins ».

Hier, devant la même commission, Bruno Le Maire a d’abord semblé minimiser le problème. Dans son propos préliminaire, il a en effet sorti de son chapeau le petit chiffre de 7% de différence des prix entre la France et la région Réunion-Mayotte ! Il s’est aussi réjoui que l’Outre-mer n’aurait pas été frappé par l’inflation aussi fortement que l’Hexagone.

Il faudra qu’ensuite le rapporteur martiniquais de la commission, Johnny Hajjar, lui lance que lorsque l’inflation est de 0% en France, elle est déjà « structurellement » de 40% en Outre-mer. Signe que les « enquêteurs » ne partagent pas, mais alors pas du tout, le point de vue du « prévenu ».

Surtout, Bruno Le Maire a asséné que « les zones franches — vantées la veille par son collègue — ne sont pas une solution miracle » : « elles ont plus d’inconvénients que d’avantages ». Le prochain conseil interministériel sur l’Outre-mer, programmé le 3 juillet prochain, devrait plutôt se pencher sur ce vieux serpent de mer qu’est la réforme de l’octroi de mer. « C’est un système baroque qui ne marche pas », tranche Bruno Le Maire

Un consensus sur la réforme de l’octroi de mer ?

Ni favorable à sa suppression, ni au statu quo, le ministre de l’Économie pense que, pour la première fois, un consensus de réforme pourrait se dégager en concertation avec les élus locaux. L’octroi de mer correspond selon lui à « une protection tarifaire » pour les productions locales. L’idée serait donc d’arrêter de taxer des importations qui ne sont pas produites dans les territoires concernés. Il a cité un octroi de 30% sur la farine (Ndlr: 5 % pour le blé) ou de 20% sur le riz.  Reste à évaluer le manque à gagner pour les collectivités locales largement financées par l’octroi de mer.

Cette réforme suffira-t-elle à lutter contre la vie chère ? Sûrement pas, en tout cas pas dans l’urgence car l’octroi de mer, tel qu’il existe aujourd’hui, est déjà sur les rails européens jusqu’en 2027 puisqu’il a été validé par la commission pour cinq années supplémentaires.

Pour le reste des problèmes soulevés ces dernières semaines par la commission d’enquête, le ministre n’a guère rassuré les députés. Au-delà de la minimisation de la « vie chère », il a juste promis de demander à la direction de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes et à l’Autorité de la concurrence de renforcer les contrôles.

Il se satisfait des résultats obtenus : 29 décisions de l’autorité ayant débouché sur le versement de 162 millions d’euros d’amendes sur les quatre dernières années. Il a évalué à 7 milliards les exonérations de taxe accordées par l’Etat sur la TVA, l’électricité et les carburants.

« Là, vous touchez au secret des affaires. Si on va trop loin dans le contrôle des marges, c’est toute l’activité économique que vous menacez. »

Bruno Le Maire

Ce qui ne convainc pas Frédéric Maillot. Le député réunionnais a noté ses chiffres bien différents de ceux du ministre : 67% de surcoût sur les frais bancaires, 12% sur les communications, etc. Il demande des mesures d’urgence : « On ne veut plus se faire voler quand on achète à manger, quand on communique et quand on se déplace. On est en train de crever la bouche ouverte », s’exclame-t-il. 

« On ne veut plus se faire voler quand on achète à manger, quand on communique et quand on se déplace. »

Pas convaincu non plus, Johnny Hajjar a dû insister pour que le ministre réponde au souhait clairement exprimé par l’Observatoire des prix, de pouvoir enfin contrôler les marges des grands groupes. Ceux-ci refusent de le faire comme l’a assumé le Groupe Bernard Hayot lorsqu’il a été auditionné. Bruno Le Maire veut bien que la transparence soit faite secteur par secteur, mais pas dans le détail. Selon lui l’obligation de publier les comptes d’une entreprise relève du tribunal du commerce, pas du gouvernement.

Quand Hajjar insiste encore, Bruno Le Maire assène : « Là, vous touchez au secret des affaires. Si on va trop loin dans le contrôle des marges, c’est toute l’activité économique que vous menacez. » Logique ! Il était déjà ministre de l’Économie quand a été votée la loi relative à la protection des affaires en juillet 2018. Répondre favorablement aux députés qui veulent la transparence sur les marges relèverait vraiment du grand écart.

Franck Cellier

A propos de l'auteur

Franck Cellier | Journaliste

Journaliste d’investigation, Franck Cellier a passé trente ans de sa carrière au Quotidien de la Réunion après un court passage au journal Témoignages à ses débuts. Ses reportages l’ont amené dans l’ensemble des îles de l’océan Indien ainsi que dans tous les recoins de La Réunion. Il porte un regard critique et pointu sur la politique et la société réunionnaise. Très attaché à la liberté d’expression et à l’indépendance, il entend défendre avec force ces valeurs au sein d’un média engagé et solidaire, Parallèle Sud.