(À propos des) Violences sociales – violences urbaines 2

LIBRE EXPRESSION

Si l’on considère l’environnement des individus comme déterminant  dans la formation des comportements et l’ensemble de la personnalité, lorsqu’on veut contribuer à un véritable changement de ces comportements,  alors il faut agir sur l’environnement… et avec lui… et le plus tôt possible dans l’existence !

(Tout le reste n’est que paroles verbales)

Des bagarres sanglantes entre jeunes qui ne se cachent plus pour s’étriper, l’usage d’armes à feu dans l’espace public en plein jour, des drames urbains avec des morts qui, depuis quelques mois, se succèdent à un rythme préoccupant à Saint-Denis, Saint-Gilles, Saint-André, Saint-Benoît, Saint-Leu…

La Réunion n’est peut-être pas encore à feu et à sang. La multiplication des incivilités ne peut se confondre avec les actes de violences bien réels. Mais les chiffres recueillis ici ou là tendent à montrer que la violence a sans doute réellement augmenté quantitativement dans la société. On sait en tout cas qu’elle occupe de plus en plus nos esprits. L’angoisse diffuse de l’agression rampe partout et La Réunion de ce point de vue a pris depuis quelque temps les allures d’une banale banlieue de la mondialisation.

La police nationale elle-même observe que « les événements sont de plus en plus violents à La Réunion » et les policiers disent craindre que « chaque intervention peut basculer dans la violence ». Suit inévitablement la demande « d’une politique pénale plus répressive ! » On peut le comprendre ! Quand on ne peut rien faire d’autre que tenter de l’endiguer, on ne traite que l’immédiat de la manifestation de la violence. Notamment en réclamant l’intensification des interventions des forces de l’ordre et l’aggravation des mesures de sanction et de répression. 

Ce n’est qu’un pis aller… au demeurant parfaitement inefficace. La recrudescence des violences urbaines et sociales se produit indépendamment de la mise en œuvre depuis toujours de toutes ces dispositions policières et pénales, selon un scénario qui semble décidément immuable. Si la situation n’était à ce point préoccupante, on pourrait parodier cet aphorisme attribué à Bossuet : « Dieu se rit des hommes qui déplorent les effets dont ils continuent à chérir les causes… » ou, si je peux me le permettre, « dont ils persistent à préférer les ignorer… »

Dans cet article, avec le sentiment de ne pouvoir qu’effleurer les problèmes et leur traitement, je fais plusieurs tentatives :

• Identifier des enchaînements de causalité des violences, plutôt que de me précipiter sur le spectacle, même abominable, de leurs manifestations telles qu’elles nous sont données à voir.

– Il m’importe de savoir comment éviter de combattre simplement des symptômes et des conséquences (autrement dit les modalités d’expression de la violence que l’on veut éradiquer…)

• Interroger l’environnement de nos sociocultures dont on sait que chacun de nos comportements et la construction même de notre personnalité sont entièrement tributaires.

– Et de ce point de vue, comment pouvoir aborder contenus et sens possibles des messages —directs ou induits— portés par les violences qui nous sont infligées quasiment en permanence…

• Remonter aux sources historiques de l’acquisition de nos comportements relationnels et sociaux, qui coïncident, pour la plupart d’entre nous, avec nos années de scolarisation.

– Je considère que le système éducatif structuré constitue l’espace d’action le plus important pour la prévention active à l’égard des violences sociales. 

• Contribuer à l’élaboration d’un environnement scolaire susceptible de créer une cohérence et une homogénéité éducatives par l’alliance et la collaboration confiante de tous les adultes concernés.

– Je voudrais là esquisser un mode d’agir de façon préventive sur l’environnement —dans le système scolaire— pour aider à comprendre

… et avoir accès à une intelligence des causalités (enchaînements toujours complexes), pour traiter les sources directes ou latentes des comportements répréhensibles.

• Pour préciser mes réflexions :

Nous ne sommes pas dans la zone marécageuse des « faut qu’on » et des « y a qu’à » – Les méthodologies et les outils existent !

A • Des outils pour associer les familles à l’existence scolaire de leurs enfants.

B • Des outils pour améliorer la collaboration de tous les adultes de l’établissement, quel que soit leur métier, à l’éducation des élèves.

C • Des outils pour renforcer la collaboration entre l’établissement et son environnement socioculturel (quartier – institutions – animateurs et travailleurs sociaux et socio-éducatifs).

D • Des outils pour intervenir directement auprès des élèves et susciter leur participation.

E • Des outils pour exercer son autorité sans crainte, pour résoudre les difficultés en pleine sécurité, pour pacifier le « climat » de l’établissement scolaire. 

Les présenter et les illustrer d’exemples réalisés demandera un espace de présentation que Parallèle Sud ne peut assumer à lui seul.

Bien entendu, les généralisations ne rendent jamais compte de réalités souvent dissemblables. Dans cette exigence de la contextualisation des situations, il est vain de vouloir produire des solutions universelles.

• Cela étant, on peut tout de même identifier quelques bases possibles concernant la structuration d’un environnement scolaire favorable à la prévention des violences ou des dérives comportementales redoutées, ainsi qu’à leur traitement positif. Et sans nullement prétendre à une vérité absolue, on peut espérer développer un cadre collectif d’action susceptible d’être moins pathogène ou « agressogène ». L’engagement doit être lucide, profond, sincère et… dépourvu d’illusion.

Avec la méfiance qu’inspirent les aphorismes trop souvent répétés pour ne pas avoir été vidés de leur substance, je souhaite appuyer ma réflexion sur cet ancien proverbe venu d’Afrique :

« Il faut tout un village pour élever un enfant ! »

Pour illustrer le symbole : Ce « village », c’est nous, c’est vous. Inutile d’accabler les équipes enseignantes et l’Education nationale tout entière ! Inutile même de nous rabattre sur les familles incompétentes et décomposées… Le « village », c’est le voisinage, c’est le maire, c’est l’urbaniste, c’est l’animateur du quartier, c’est le tenancier du camion bar, c’est l’éducateur sportif, c’est le musée, ce sont les associations, les médecins, les commerçants, les assistantes sociales, c’est toute une chaîne qui, de façon morcelée, prend en charge chaque enfant et en assume la responsabilité. Parce que l’échec d’un enfant, c’est toujours un échec collectif.

Inutile de tordre l’interprétation. Le « village » ne remplace pas la famille, il ne se substitue en rien à elle et à sa responsabilité. Tout au plus, il la soutient, il la complète, il en étaie la parole et l’action éducative. Le « village » crée la cohérence et l’homogénéité de l’environnement adulte des enfants et des adolescents. Les parents, premiers responsables de la réponse aux besoins de l’enfant, ont eux-mêmes la plupart du temps besoin d’être soutenus dans leurs fonctions parentales. Le rôle du village n’est pas de faire à leur place et sans eux, mais de les encourager dans leur fonction auprès de leurs enfants.

• Hélas, le « terrain » de notre société n’est pas ou plus habité et animé par des familles, condition fondamentale pour que se transmettent les savoirs sociaux et les comportements pertinents aux générations successives. Il n’est pas fréquenté par des citoyens, des voisins, des individus, des gens susceptibles de partager explicitement des préoccupations communes, de tisser les liens sociaux et le devenir ensemble, l’avenir des jeunes… Il est occupé essentiellement par des professionnels, des spécialistes, des experts, des institutions, des associations, des offices et des organismes, des agents sociaux, des animateurs, des médiateurs, des dispositifs, des agencements, etc., en bref, tous ceux qui sont appelés à faire à la place des familles et des gens et souvent sans eux, voire contre eux… 

— Mais, Monsieur Jaccoud, vous avez « tout votre village… » ! Pas content ?

— Non… une partie du village seulement… à l’exclusion des premiers concernés : les parents et les familles…

• La distance à laquelle se tiennent ainsi les « sachant » et les classes dominantes, ainsi que leur outillage conceptuel, scientifique, technique, administratif et bureaucratique produisent l’impuissance sociale des simples citoyens. Ignorant de fait ce qui se trame dans les centres de pouvoir, ils n’y participent pas. Ils mènent leur existence selon leurs informations et renforcent progressivement leur point de vue initial, en majorité négatif et hostile.

• La conséquence en est le refuge (dramatique et quasi systématique) de tous dans l’utilitarisme et dans l’immédiat. Et au mieux, pour son marmay, on en vient à n’attendre qu’un avenir de producteur correctement rémunéré et de consommateur bénéficiant d’un confort suffisant. L’école ne doit servir —dans la compréhension inquiète des familles dépassées et impuissantes— qu’à cet usage rentable, rassurant et quasi instantané. Et non à former la conscience collective, l’esprit de solidarité, à transmettre et développer la culture, la participation civique, la curiosité intellectuelle, la responsabilité personnelle, etc., fonctions abandonnées au hasard, au gré des environnements et des circonstances.

Nous devons plutôt considérer que face à « un inconscient collectif » qui s’est substitué de fait à toute logique, c’est à l’école, dispositif éducatif structuré, à ses équipes enseignantes, à ses cadres d’intervenir, d’agir et de résoudre, prendre les initiatives utiles… appelé de ce fait à pallier d’une certaine façon les insuffisances d’une éducation familiale spontanée, donc dit-on, défaillante… 

Certitude : seule l’amélioration des relations et des collaborations entre tous les adultes recrée une cohérence et une homogénéité éducative. 

1 • C’est elle qui peut générer un climat de collaboration favorable à l’efficacité de la double tâche éducative et socialisatrice auprès des élèves. L’école a besoin de cette tranquillité pour bien fonctionner ! 

2 • La cohérence positive du tissu adulte autour des élèves (la restauration du village symbolique) constitue de plus un soutien social propice à la prévention des risques et des troubles psychosociaux dont peuvent pâtir les personnels de l’Éducation nationale épuisés et déstabilisés, précisément les enseignants.

Tout responsable d’établissement primaire ou secondaire dispose de possibilités et de points d’appui :

• pour transformer, s’il le souhaite, le climat de l’école et 

• pour (re)construire l’environnement scolaire le plus favorable

à l’épanouissement de ses élèves

à la réussite des objectifs de l’éducation

et à la prévention des dérives comportementales aussi bien que des manifestations de violences exercées et subies dans son établissement. 

Selon l’expérience acquise dans mes diverses interventions, j’identifie 8 de ces « points d’appui » qui constituent une sorte de programme d’action dont il est souhaitable d’effectuer une évaluation périodique.

A • Autour du lien social et de la sécurité des personnes attachées à l’établissement, jeunes et adultes

B • Autour de la première participation des élèves à une citoyenneté active et responsabilisatrice

C • Autour des sanctions et de la pédagogie des sanctions

(conséquences logiques et acceptables des approches menées sous A et B).

A • Autour du lien social et de la sécurité

des personnes attachées à l’établissement, jeunes et adultes

1 • Une condition fondamentale, qui n’est pas qu’un préalable, s’impose pour la réussite de ce « programme ». Elle concerne la stabilité des équipes de l’établissement

Dans tous les domaines touchés par l’importance de la relation professionnelle interpersonnelle, en matière sociale et pédagogique (et non uniquement l’école), le turnover est contre-indiqué. La confiance est une construction. La régularité de l’engagement de tous est indispensable. Elle s’édifie dans la continuité des relations établies. 

2 • À cette continuité, doit être associée la solidarité absolue de tous les acteurs internes à l’établissement.

Les diverses catégories de personnel portent la préoccupation de garantir et de pratiquer, entre elles toutes, une solidarité active fondée sur la règle clairement partagée selon laquelle « tous les adultes de l’établissement sont responsables de tous les élèves, en toute circonstance ». Pour ça, tous se connaissent et connaissent ce que font les autres.

• Sans doute plus simple à établir dans le primaire !

• Dans le secondaire : A-ATOSS, B-Vie scolaire : CPE + Surveillants + Aides éducateurs, C-Corps enseignant, D-Direction et son équipe administrative forment tous ensemble la communauté éducative. La connaissance explicite et réciproque de leurs tâches doit aider à partager une attention commune à l’égard des élèves. 

• Dans les deux degrés, la solidarité devient l’outil même du soutien social auquel tous les collaborateurs de l’établissement eux-mêmes ont droit. 

• La prévention des risques et des troubles psychosociaux qui affectent les personnels de l’éducation nationale s’appuie elle-même sur ce premier cercle de cohésion et d’interdépendance conscientes. 

• Les enseignants subissent de façon croissante incivilités et « violences » de la part d’élèves parfois très jeunes, d’où des conséquences manifestes : souffrance psychologique au travail — mal-être — stress — épuisement professionnel (burn out) — troubles du sommeil — sentiment de harcèlement — charge mentale — démotivation — dépression — syndrome post-traumatique — pathologie suicidaire… Le mal-être semble être installé durablement, dans plusieurs établissements de l’académie, entre les parents et le système scolaire… Réel, vécu et exprimé par les personnels de l’éducation (enseignants, cadres, inspecteurs même).

Un exemple d’action en collège (réellement vécue) :

La journée de la communauté éducative de l’établissement consacrée à une rencontre de travail et d’échanges organisée pour l’ensemble de la communauté adulte du collège. Objectifs :

1 • Améliorer la prévention globale et le traitement des problèmes vécus par les élèves et répercutés quotidiennement dans les classes.

2 • Améliorer l’écoute réciproque, la compréhension et l’efficacité des interventions de chaque catégorie de personnel, « du signalement à la résolution des problèmes ».

3 • Améliorer concrètement l’attention générale, apportée par l’ensemble de la communauté éducative à l’ensemble des adolescents fréquentant le collège.

(déroulement disponible)

3 • Alliance et solidarité confiante entre l’école et les familles : un environnement adulte cohérent et solidaire. 

Je considère qu’il s’agit de l’élément-clé d’une stratégie éducative globale réussie.

• La nécessité d’une métamorphose stratégique :

Plutôt que d’avoir à se défendre sans fin contre l’environnement et contre les comportements incertains de ceux qui en proviennent et dont on pourrait craindre qu’ils altèrent gravement le sentiment de l’indispensable soutien social dont les équipes enseignantes ont besoin, l’école doit pouvoir faire partout le choix d’élaborer des stratégies volontaires, structurées et systématiques d’ouverture et d’alliance avec les familles et la population… 

• Evidence dérangeante, mais inévitable : placée au cœur d’environnements sociaux éclatés, la cellule familiale a de plus en plus de difficultés à assumer seule ses tâches éducatives.

• Conséquences : qu’il le veuille ou non, l’extension des fonctions éducatives et socialisatrices demande à être assumée par le système scolaire structuré ! L’amélioration du rapprochement des logiques scolaires et des logiques familiales s’impose comme une nécessité pour la construction d’un minimum de cohérence adulte et d’homogénéité éducative autour des enfants élèves… Ils en retireront un sentiment de clarté et de sécurité, condition indispensable à un équilibre structurant et à un épanouissement espéré.

Et surtout :

• Cette volonté de cohérence du tissu adulte autour des élèves (le village symbolique reconstitué) restaure la confiance entre la famille et l’école, apaise les tensions entre parents et enseignants et instaure un soutien social propice à la prévention des risques et des troubles psychosociaux dans l’école…

• Concrètement :

À chaque rentrée scolaire, sous l’impulsion des responsables hiérarchiques de l’établissement, les parents sont invités à une fête des « trouvailles et retrouvailles ».

Informations positives et partage des préoccupations éducatives avec les parents. Vraie manifestation conviviale (amuse-gueules, etc., ad libitum) au cours de laquelle doit être prononcée et confirmée une déclaration d’alliance confiante entre parents et équipes éducatives pour le bien-être des élèves et leur développement optimum (coïncidant probablement avec une réussite scolaire légitimement attendue par les familles). Si (et à chaque fois que) des problèmes surviennent, on les traitera ensemble, chacun dans son rôle, en se faisant confiance, dans le respect sincère des positions et des difficultés parentales, et en cherchant les meilleures solutions, etc.

On fait la fête dans la perspective d’un rapprochement positif des familles et avec elles, matérialisé, concret, continu et renouvelé selon les envies et les nécessités, en faveur d’un développement sain des enfants, faisant l’objet d’une attention ouverte et réciproque… !

• Les bénéfices que l’on peut espérer de cette cohésion des adultes, relatifs aux élèves :

1 – Intégration soutenue de la nécessité de l’effort — de la constance scolaire — d’un ou de projets esquissés (face à l’immédiateté ambiante du tout, tout de suite)

2 – Soutien accordé aux pratiques éducatives propres à la famille et connexion des conceptions éducatives entre parents et enseignants (produisant un effet de cohérence et d’alliance positive renforçant l’accès à des résultats).

3 – Atténuation des dissociations culturelles (culture familiale, créole, populaire et pragmatique, et culture scolaire, francophone, technique, compétitive et structurante).

• Ainsi que ceux qui concernent les adultes eux-mêmes :

4 – Pacification de la situation en faveur du bien-être professionnel / personnel des enseignants et de l’établissement en général.

De manière générale, toute démarche de collaboration avec les parents commence donc par la nécessité absolue de reconsidérer les rapports entre l’école et la famille, dans le contexte concret de la vie sociale, et fréquemment, de refaçonner en profondeur les relations entre enseignants et parents.

Un exemple d’action (classique et essentielle) :

La journée conviviale et solidaire d’invitation par classe 

à tous les parents concernés par le passage CM2 > 6e de leurs enfants

Plusieurs variantes peuvent être proposées. De manière générale, l’accueil des parents dès la rentrée ou dans les jours qui précèdent représente l’acte clé le plus important de toute démarche visant plusieurs objectifs, dont quelques lignes résumées sont esquissées ici :

Le transfert, vers l’institution scolaire, de toutes sortes d’apprentissages sociaux qui relevaient auparavant de la famille, nécessite probablement une réorganisation des tâches de l’école et du corps enseignant. Mais il suppose certainement souvent une reconstruction organique des liens et des rôles respectifs assumés par les adultes qui entourent l’enfant.

Arnold Jaccoud

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Kozé libre

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