Le dessin de presse, par Rob, mis en avant dans Le Tangue

[La peste] « Un risque facho jamais aussi haut »

3 / VISITE DANS LA TANIÈRE DU TANGUE, SENTINELLE ANTIFA DE LA RÉUNION

Suite de notre série sur la peste brune : allégorie inspirée de la montée du fascisme et du nazisme dans l’Europe de l’entre-deux-guerres. Cette semaine, nous avons rencontré Loïc Chaux, journaliste et directeur de la publication du Tangue, « site d’information réunionnais satirique et indépendant » (tel qu’il se sous-titre lui-même). Il est devenu au fil des ans une véritable sentinelle pour dénoncer les dérives de l’extrême-droite.

Dès sa création, en 2012, Le Tangue, « site d’information réunionnais satirique et indépendant » (tel qu’il se décrit lui-même), avait mis la barre à gauche. Relancé en 2019 par le journaliste Loïc Chaux, l’animal a dirigé ses piques plus particulièrement contre l’extrême droite. Il s’affiche clairement « antifa ».

Même s’il a observé un retard d’une dizaine d’années par rapport à l’Hexagone, la montée du vote pour le Front National devenu Rassemblement National ne l’a pas étonné. Comme Philippe Fabing la semaine dernière, il fait le lien avec la montée de la pauvreté et « la disparition de la promesse des lendemains qui chantent » : « La Réunion est bouffée par tout un tas de crises auxquelles les politiques ne répondent pas ».

Refus de la modernité

Selon lui, il ne fallait pas se faire d’illusion sur le métissage de la population, censé être incompatible avec les fondements racistes du Front National. « Il ne faut pas oublier à quel prix s’est fait le mélange de la population avec une hiérarchisation des origines dès le début de La Réunion ». La xénophobie, qui s’exprime généralement contre les derniers arrivés (en France comme à La Réunion), ne se soigne finalement que lorsque la population arrive à s’en sortir économiquement, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.

En plus des réflexes xénophobes, le Tangue repère les « fachos » par leur « refus de la modernité ». Et il cite le déplacement/déboulonnage de la statue de Mahé de la Bourdonnais. Tous les opposants ne sont pas d’extrême droite, mais les personnes marquées à l’extrême droite se retrouvent systématiquement sur ces questions sociétales qui sont de véritables « marqueurs », comme le mariage pour tous, l’IVG, la peine de mort, l’égalité homme/femme, l’écologie…

Loïc Chaux, journaliste et directeur de la publication du Tangue.

Puis les idées d’extrême droite sont relayées dans les médias. « Mine de rien », le mouvement se structure, avec un maire de la Plaine des Palmistes qui affiche son appartenance au RN ou l’émergence de personnalités pendant les Gilets jaunes et les manifestations opposées à la vaccination contre le Covid.

« Dans le Tangue, on ne dira pas que Johnny Payet, le maire de la Plaine des Palmistes, est un facho… par contre, il soutient un parti xénophobe où il y a des néo-nazis. »

Loïc Chaux

La Réunion est devenue un point de passage apprécié des leaders nationaux avec une Marine Le Pen qui peut fêter le 20 décembre à la Plaine des Palmistes ! Ce qui n’était même pas imaginable pour son père.

Pour autant, la représentation locale du parti des Le Pen semble assez éloignée des idées à l’origine de cette formation. « Dans le Tangue, on ne dira pas que Johnny Payet, le maire de la Plaine des Palmistes, est un facho… par contre, il soutient un parti xénophobe où il y a des néo-nazis. »

Loïc Chaux se dit « estomaqué par l’apathie de la gauche face à Jean-Hugues Ratenon, député de la France insoumise, qui n’appelle pas à faire barrage à Marine Le Pen et fait campagne avec Johnny Payet. C’est comme si François Ruffin avait fait campagne avec Jordan Bardella ». Plus grave à ses yeux : au-delà des stratégies politiciennes, le député de Saint-Benoît reprend les idées d’extrême droite en demandant au préfet d’empêcher le transfert à La Réunion de prisonniers mahorais. « Quand il fait ça, il est contre l’état de droit. »

Le Tangue
Le dessin de presse, par Rob, mis en avant dans Le Tangue

« Pourquoi n’y a-t-il pas une figure antiraciste et progressiste qui s’élève contre tout ça ? », demande le Tangue. Il s’est donné pour mission de déceler la moindre « pousse d’extrême droite ». C’est ainsi qu’il repérait dans les arguments développés lors des manifestations anti-pass ou anti-vax, des contenus complotistes provenant des sites d’extrême droite nationaux : « la plupart des leaders anti-vax ont fini candidats d’extrême droite. »

L’original et la copie

Et il a fait le choix, en tant que citoyen et en tant que journaliste, de ne jamais toucher à l’extrême droite. Ne rien partager avec eux ! « Ces gens-là, on ne leur parle pas. » Le journal satirique dénonce les discours sécuritaires en y opposant les faits, c’est-à-dire la diminution statistique des violences entre les années 1990 et aujourd’hui. Quitte à se retrouver bien seul à relativiser les émotions sur lesquelles surfent tous les élus ou presque.

Pas besoin d’être encarté au RN, à Reconquête, chez les Patriotes, ou à Debout la France, pour mêler ses paroles et ses actes à l’extrême droite. Et le Tangue de relever les propos bienveillants de la présidente de l’Assemblée nationale à l’égard des députés RN, ou la loi sur l’immigration et celles qui s’attaquent aux populations les plus fragiles comme les chômeurs : « C’est aussi un marqueur de l’extrême droite que de s’attaquer toujours aux plus fragiles. »

Or il ne faut surtout pas croire que les partis dits « de l’arc républicain » puissent « piquer les électeurs de l’extrême droite en lui piquant ses idées ». Les scores actuels du RN démontrent que l’électeur préfère l’original à la copie.

Le Tangue estime qu’il tient aux « figures de la vie politique locale », notamment les maires, de dire que les discours racistes ne sont plus audibles. Seul moyen d’inverser la tendance.

Franck Cellier

14 caractéristiques du fascisme

Définir le fascisme n’est pas simple. Loïc Chaux se réfère quant à lui à une liste établie par le sémiologue Umberto Ecco qui relève 14 caractéristiques et éléments discursifs qui sont des signes avant-coureurs du fascisme. Son ouvrage de référence s’intitule « Reconnaître le fascisme »

1 – Le culte de la tradition

2 – Le refus du modernisme, de la modernité (surtout sociale)

3 – Le culte de l’action pour l’action, (penser est suspect, la culture aussi, les universités sont un repaire de communistes)

4 – La condamnation de tout désaccord, (dissentir est trahir)

5 – La peur de la différence, la xénophobie  

6 – L’appel à la frustration ressentie (à tort ou à raison) par les classes moyennes 

7 – Le nationalisme, (qui passe par l’obsession du complot étranger/international, mais aussi du complot des ennemis de l’intérieur)

8 – L’adversaire est opulent, dépravé, décadent, à la fois trop fort et trop faible

9 – La haine de la paix, (parce que la vie doit être une guerre permanente)

10 – Le mépris des faibles

11 – Le culte de l’héroïsme, (uniquement conçu comme le culte du sacrifice ultime, de la mort)

12 – Le machisme et la condamnation de toute déviance de la norme sexuelle hétéro-masculine (liberté sexuelle, homosexualité, transidentité, etc…)

13 – La négation de la volonté démocratique commune, (le leader en étant le seul interprète valable, ce qui mène au culte du chef, à l’anti-parlementarisme et au rejet de la démocratie réelle)

14 – La novlangue orwellienne (qui, pour rappel, n’est pas le fait de créer de nouveaux mots pour désigner de nouvelles choses, mais de réécrire le sens des mots existants)

A propos de l'auteur

Franck Cellier | Journaliste

Journaliste d’investigation, Franck Cellier a passé trente ans de sa carrière au Quotidien de la Réunion après un court passage au journal Témoignages à ses débuts. Ses reportages l’ont amené dans l’ensemble des îles de l’océan Indien ainsi que dans tous les recoins de La Réunion. Il porte un regard critique et pointu sur la politique et la société réunionnaise. Très attaché à la liberté d’expression et à l’indépendance, il entend défendre avec force ces valeurs au sein d’un média engagé et solidaire, Parallèle Sud.