A LA REUNION, L’ACCORDEON EST SOUVENT L’INSTRUMENT ROI DU SEGA
Lorsqu’on aime l’accordéon, et l’accordéon « péi », on pense à René Lacaille, Jean-François Fauchard, Yasmine Poudroux, Alfred Vienne et quelques autres, qui ont montré qu’avec cet instrument, on pouvait jouer à peu près tous les types de musiques : la valse, la java, la polka, le paso-doble ou le tango bien sûr, mais aussi le séga !
Alfred Vienne, monsieur accordéon…
Accordéoniste séga de renom, Alfred Vienne est le compositeur du tube « A cause Fifine » interprété par Jules Joron avec lequel il a fait un grand bout de chemin. Il accompagne toujours le groupe emblématique de l’île Ousanousava. En 2014, après cinquante ans de carrière, il a enregistré un album accordéon dont il a composé tous les titres : Ti coin Grand Bois.
Si l’on surfe un peu sur le net, on trouve très peu d’informations sur Alfred Vienne. L’homme est modeste, discret, n’aime guère se mettre en avant. Et pourtant, quand il commence à parler de sa carrière, il est intarissable, parfois blagueur. Et quand il sort son accordéon (il n’a pas joué depuis le début de l’année en raison de problèmes de santé), il se met à enchaîner les mélodies. « La Foule » de Piaf en version salsa est un moment de bonheur. Une prestation à la fois unique et un peu magique !
Un enfant de Grand-Bois
Né à Grand-Bois, il y a grandi, et y habite toujours. Trois sœurs, deux frères tous les deux musiciens, l’un d’eux marié à la sœur de Jo Lauret ! Deux de ses neveux étaient les musiciens de Mamo (batterie, clavier), mais paradoxalement, ses enfants ne sont pas musiciens. « Papa était … accordéoniste, tonton Valère aussi, et André Philippe était le cousin de papa.». Forcément, la musique occupe alors une place toute trouvée ! Bassiste, pianiste, accordéoniste, il a écumé les scènes de l’île pendant une cinquantaine d’années.
Carrossier de formation, il a exercé ce métier pendant plus de quarante ans dont une trentaine d’années chez Renault. « Mon dernier patron était Bernard Hayot » confie-t-il, ajoutant, « j’ai même été pilote de rallye » ! Mais tous les week-end étaient consacrés à la musique. Comme bassiste (avec les Shadows) et accordéoniste au début, puis comme pianiste pendant une vingtaine d’années (et même comme organiste à l’église de Terre-Sainte pendant trois ans). « C’est en écoutant la Lambada que j’ai eu comme un déclic et que je me suis remis à l’accordéon ».
Une vie consacrée à l’accordéon
Alfred Vienne a débuté l’accordéon à l’âge de dix ans, et a joué rapidement dans l’orchestre Vienne (celui de son papa), puis celui d’André Philippe (1962). Il remporte deux premiers prix d’accordéon, une référence à La Réunion surtout lorsqu’on joue uniquement d’oreille (Alfred Vienne ne sait pas lire une partition de musique) ! Dès 1963, il compose ses propres musiques : Dan fond la rivière (Jacky Lechat a écrit les paroles), l’accordéon séga et la musique d’A cause Fifine sur laquelle Jules Joron écrira les paroles, un tube régional !
« J’ai joué avec de très nombreux groupes (comme pianiste et/ou accordéoniste) : les Léopards, les Cousins, les Devils Song, le Musical Groupe, les Volcans 2000, les Smoker, Rétrovision, Gérard Morel, André Philippe, Florence Lebouteux et ses musiques bretonnes, … et enregistré des titres avec Jacky Lechat, Jo Lauret, Olivier Vienne, Christophe Payet, Cadence Créole, Frédéric Joron, Baster, Ousanousava, … ». Il ajoute avoir « joué avec Marcel Azzola, Marcel Loeffler et Richard Galliano », accordéonistes mondialement connus. Sa longue collaboration avec André Philippe et Jules Joron a marqué sa vie. « Je garde beaucoup de souvenirs de mon cousin André Philippe. C’était un homme d’une grande gentillesse, toujours de bonne humeur. Dans l’orchestre il y avait une certaine gaieté entre les musiciens, on s’entendait bien ».
Son amitié avec Jules JORON
J’ai rencontré Jules Joron quand j’avais dix-sept ans. Il m’a proposé de l’accompagner sur la moitié de son programme. Il m’a donné beaucoup d’idées sur l’interprétation. J’étais fier. La surprise pour moi c’est quand je lui ai fait écouter une musique que j’avais composée. Il n’a pas hésité à écrire des paroles et on a enregistré. Ce séga, tout le monde le chante aujourd’hui, c’est A Cause Fifine. Jules Joron était quelqu’un d’une très grande gentillesse, toujours souriant. Je garde beaucoup de souvenirs de lui et le remercie énormément ».
Toujours des projets
Aujourd’hui, Alfred Vienne reprend seulement l’accordéon après une longue interruption due à quelques problèmes de santé. Il espère pouvoir rejouer avec Ousanousava, et aimerait rejouer ces « musiques rétro » qu’il affectionne particulièrement avec un ou deux musiciens.
Dominique Blumberger
L’histoire de l’accordéon, son évolution
L’accordéon est un instrument à vent particulier, où l’air n’est pas apporté par la bouche, mais à l’aide d’un soufflet que l’on tire et que l’on pousse.
On attribue son invention à Cyrill Demian, fabriquant d’orgues et de pianos, qui à Vienne en 1929 a fabriqué un « accordion » qui était le premier instrument utilisant les propriétés de l’accordéon actuel. Le nom de « piano à bretelles » trouve sans doute son origine ici, car de fait, il est un peu cela ! Progressivement ont été ajoutés un soufflet, puis des claviers avec de plus en plus de notes. Pour émettre des notes, on presse une touche, qui fait vibrer une lame métallique. Pour chaque note, une lame différente recouverte souvent de cuir ou d’un matériau approchant. Autant dire que sur notre île cela pose de vrais soucis avec le taux d’humidité et le sel marin !
Tous les accordéons ne sont pas identiques
Il existe deux types d’accordéons : l’accordéon chromatique et l’accordéon diatonique. Le premier émet le même son lorsqu’on tire et lorsqu’on pousse. Il peut avoir côté main droite des touches « bouton » ou des touches « piano ». Par contre, l’accordéon diatonique, très en vogue notamment à Rodrigues et en Amérique du Sud (tango) émet un son différent selon que l’on tire le soufflet ou qu’on le pousse. Il est donc de plus petite taille. L’accordina est un petit instrument fabriqué comme un accordéon (boutons « main droite », mais dans lequel on souffle avec la bouche).
Un instrument aujourd’hui très présent, avec désormais des styles très différents
L’accordéon est présent dans de nombreuses chansons : de Gainsbourg (Accordéon), en passant par Piaf (l’Accordéoniste) ou Brassens (le vieux Léon) et tant d’autres.
Longtemps, il était le roi des bals musette. Nos anciens ont connu cette époque, et continuent encore parfois à se retrouver au son de l’accordéon et de ces mélodies interprétées autrefois par de grands noms du « piano à bretelles » : Yvette Horner, André Verchuren, Aimable, Jo Privat, … Dans un registre très différent, Astor Piazzolla a fait de cet instrument une sorte d’emblème national en Argentine.
Aujourd’hui, si le « musette » reste d’actualité, l’accordéon a trouvé une gamme bien plus large. Il est utilisé pour jouer du jazz, mais aussi et peut-être surtout comme instrument d’accompagnement dans de nombreux textes d’artistes : le célèbre Vesoul de Jacques Brel par exemple, accompagné par Marcel Azzola, des textes d’I Muvrini accompagnés par l’accordéoniste malgache Régis Jizavo, d’autres de Renaud accompagnés par Jean-Louis Roques, …
L’accordéon, même s’il est souvent instrument d’accompagnement, reste un instrument qui peut se jouer seul. De nombreux « grands noms de l’accordéon » sont allés chercher des sonorités venant d’Amérique du Sud, d’Europe de l’Est, jazz, … et arrivent à transmettre, des émotions formidables : Richard Galliano, Marc Perrone, Michel Macias, Marc Berthoumieux, Vincent Peirani, Lionel Suarez … Il y a quelques semaines, Bernard Joron était sur scène au festival Africolor à Paris et a chanté Fonker Silence accompagné par Lionel Suarez à l’accordéon, une petite merveille ! (voir lien ci-dessous)
Ils parlent d’Alfred Vienne
Bernard Joron : « Alfred fait partie des artistes d’exception à La Réunion. Il a joué avec de nombreuses formations musicales, petites, moyennes ou grandes, dont l’orchestre André Philippe ou encore le groupe Ousanousava… Il a fait danser nombre de Réunionnais dans toutes sortes de soirées : bals, concerts, soirées privées. C’est un musicien remarquable avec un sens de la mélodie et beaucoup d’inspiration dans sa façon de jouer. Ses compositions sont un exemple de sobriété et d’équilibre musical : « À cause Fifine », par exemple (écrit en complicité avec Jules Joron) traverse le temps et les générations, tous les Réunionnais connaissent cette chanson ! Il ne reste plus beaucoup d’artistes comme lui : accordéoniste discret, maniant les mélodies avec brio, prêt à partager sa passion de la musique avec tous. Sans lire les partitions… Tout à l’oreille… Sa manière de ressentir et faire ressentir la musique relève du génie ! »
Patrick Atide (guitariste d’Ousanousava) : « J’ai connu la musique d’Alfred à travers son tube A cause Fifine qui fut l’un des premiers ségas que j’ai joués à la guitare en reprenant la version instrumentale d’Alain Mastane. Bien plus tard, j’ai eu le plaisir de côtoyer le musicien au sein du groupe Ousanousava. J’y ai découvert un accordéoniste atypique, mais aussi un homme jamais avare d’une histoire drôle ou d’une anecdote.
J’ai énormément de respect pour ce multi-instrumentiste (qui joue aussi du clavier et dans son jeune âge de la basse). Quel privilège d’avoir travaillé et enregistré la maquette de ce qui deviendra plus tard le seul unique album en son nom. Peut-être se rappelle-t -il ce vendredi saint où on avait passé l’après-midi à enregistrer tous les deux 4 à 5 chansons. Et comment après une pause, au moment de réécouter, un problème avec l’ordinateur nous a fait perdre l’ensemble du travail ! »
Liens :
A cause Fifine : https://www.facebook.com/watch/?v=1244945262182863
Festival Africor avec Bernard Joron accompagné par Lionel Suarez sur Fonker Silence : https://www.facebook.com/bernardjoron.officiel/videos/1395967980989965