Hervé Dalleau

[Travailleurs indépendants] « La beauté de l’émotion en un clic »

EPISODE 7 : HERVÉ DALLEAU, PHOTOGRAPHE

Dans le cadre d’une enquête sur le travail des indépendants à La Réunion, je rencontre des professionnels de différents secteurs d’activités. Avant la conclusion de l’enquête, j’ai le plaisir de vous proposer des extraits de mes rencontres avec certains d’entre eux. Aujourd’hui, Hervé Dalleau, photographe professionnel qui voit beaucoup de suites de Saint-Valentin heureuses !

Autodidacte à 100% : il a construit sa formation. Hervé Dalleau est photographe indépendant. Sa micro-entreprise porte son nom. Il n’a pas appris complètement seul, mais a été acteur et impulseur de son apprentissage du domaine. Il a suivi des ateliers de formation en présentiel, à Paris, il s’agissait des ateliers « graine de photographe », et en ligne il s’est formé avec « Empara ». En outre, il continue de se former et à affiner ses techniques.

Sa pratique photographique démarre lorsque le jeune homme commence à « bidouiller » un appareil-photo à l’époque où il était militaire. L’appareil en tant qu’objet lui plaît. Il occupe d’abord ses loisirs à en comprendre l’utilisation optimale et à tester les réglages selon la luminosité, la situation ou l’effet attendu. Sa découverte de la photographie est surtout une pratique de manipulation technique.

Au fil de ses essais, il immortalise ses amis, son entourage qui lui demandent peu à peu d’être « LE » photographe de leurs divers évènements. C’est dans ce cadre privé qu’il se charge des prises de vue déjà avec grand plaisir et « travaille » son sens esthétique de l’image.

Sa carrière militaire soudainement stoppée à la suite d’un traumatisme sonore aigu, il réfléchit à une reconversion dans la photo. Mais si Hervé laisse tomber l’uniforme, dans sa tête, c’est encore « carré ». Il considère qu’exercer un métier exige d’avoir le diplôme correspondant. Il se renseigne alors sur les écoles de photographie. À ce moment-là, une nouvelle occasion de travailler se présente. Il ne peut la refuser et la saisit, non pas manu militari, mais hic et nunc. En parallèle de son nouveau job, il continue la photo épisodiquement comme un loisir.

Le déclic comme un cliché romantique

En 2017, il est commercial. Il fait son travail sans que ce soit une passion dévorante. Cette année-là, une rencontre amoureuse propulse tout. Les clichés de plus en plus nombreux qu’il fait de sa belle, puis de leur bébé, et son désir d’être intègre face à son employeur l’amènent à abandonner son poste salarié. Le défi personnel de « ne plus avoir de patron avant 40 ans » sonne de plus en plus fort en lui.

Voilà qu’il se questionne à nouveau sur la possibilité de faire de la photo son métier. Il identifie quelques bribes de résistance: ses freins sur sa légitimité à devenir photographe sans diplôme, sa méconnaissance du monde de l’entrepreneuriat, même de l’entreprise dans son ensemble, puisque « personne dans ma famille n’a d’entreprise », dit-il. Fils de parents fonctionnaires, il a surtout connu les horaires de travail prédéfinis, les revenus stabilisés, et a hérité d’un cadre de projection professionnelle plutôt sécuritaire.

Cependant, il perfectionne la pratique de ce qui n’était encore qu’un loisir. Cette pratique lui permet en 2017 d’assister un shooting professionnel auquel il avait participé après avoir envoyé certaines de ses photos, dont une de son amoureuse. Lors de ce shooting, la focale de son parcours est à point. Zoom sur sa décision : « Moi aussi, je veux faire ça ». Hervé décide alors de contacter tous les photographes de l’île pour travailler avec eux.

Hervé Dalleau
Photo Théo Baracassa

Après maintes et maintes tentatives au téléphone, il entend enfin une réponse positive: Yannick Ah-Hot lui propose de l’accompagner dans des mariages. Son travail plaît aux clients. Il est très vite amené à assumer la totale responsabilité des prises de vue. Lorsque Yannick Ah-Hot lui demande de « donner un coup de main » à l’occasion du Festival du mariage à Saint-Gilles. Sur place, il rencontre d’autres photographes qui l’encouragent à « prendre un numéro de siret ».

« Hervé Dalleau », micro-entreprise, naît en 2019

En tant qu’indépendant, il a fait des photos de nouveau-nés dans les cliniques, du marketing, ce qu’on appelle des photos corporate avec les entreprises, dans l’immobilier notamment ou lors d’anniversaires de marques. Sa préférence reste les mariages. Ou en tout cas, les interventions où il peut capturer l’émotion. Un paysage sans individu pour lui est joli, mais avec, il est sublimé. Hervé aime les gens. Il aime les gens « beaux » : « surtout les gramouns, ils ont des visages sculptés », dit-il.

Lorsqu’on lui demande quelle prise de vue l’a particulièrement marqué, il évoque les retrouvailles d’un frère et d’une sœur après 7 ans de séparations. Il en a « encore des frissons ».

Aujourd’hui, il s’épanouit dans sa profession. Pour lui, le travail c’est « produire quelque chose, que ce soit un service ou un bien », et dans son cas, il est heureux de participer à « la production de souvenirs ». Il produit les supports, physiques ou digitaux, de ces souvenirs.

Cliquer: création et authenticité

Dans son cas, la grande liberté d’emploi du temps des indépendants est relative, puisqu’il est soumis aux dates de célébrations de ses clients. Bien entendu, il travaille beaucoup les week-ends et explique consacrer les heures de la semaine aux retouches. Hervé Dalleau a créé ses propres presets, une sorte de prisme qualitatif prédéfini en fonction des effets voulus. Ces presets, parfois véritable « signature » de photographe professionnel, sont à distinguer absolument des filtres que l’on peut utiliser sur les applications de nos réseaux sociaux. Ce qu’il explique de cet outil me fait penser aux caractéristiques permettant de reconnaître le travail d’un artiste, « sa patte » dans ses œuvres, et dans ce domaine de la photo à l’identification et la reconnaissance du photographe grâce à la couleur ou « tonalité » de ses photos quand elles véhiculent une certaine douceur, une énergie volcanique, la joie, la mélancolie, de l’intensité émotionnelle… La liste reste à compléter pour qualifier la vivacité et l’intensité du ressenti face à une photo.

Débarrassé de ses carcans

La semaine, il rencontre aussi les clients et assure ses relations partenariales. C’est le cas en ce moment, avec d’autres professionnels de l’image ou de l’événementiel comme des wedding-planners.

Dans les faits, son activité professionnelle est omniprésente si on considère que son numéro de téléphone personnel fait office de professionnel, et qu’il s’autorise des appels ou des mails clients à n’importe quelle heure. Hervé explique : « Même en voyage, je ne peux pas rater la programmation d’un mariage dans un an ou ne pas répondre à quelqu’un qui redemande la date de livraison de ses photos ». Mais cette répartition organisationnelle de travail lui permet d’être disponible de manière satisfaisante pour sa famille. Le jour de notre entretien, il était bien « content d’avance » d’aller chercher son enfant à l’école maternelle.

C’est un professionnel débarrassé de ses carcans stéréotypés sur la méritocratie scolaire, ou disons plus justement diplômante, que j’aie rencontré. Un passionné qui a osé.

Hervé croit toujours, et encore, en la réussite grâce à l’école, mais l’école qui émancipe non pas qui sanctionne, ferme les portes ou condamne.

Bien sûr, pour lui, la liaison diplôme-métier demeure insécable dans certains cas, par exemple pour devenir chirurgien ou magistrat, des professionnels qu’il admire. Et « la bonne vieille école », comme il l’appelle affectueusement, reste un lieu essentiel d’apprentissage et de formation pour l’acquisition de connaissances et de compétences mais qui peuvent permettre aussi de se révéler dans ses aptitudes et appétences propres pour savoir « se débrouiller » hors les murs.

Son tournant » 2017 » me fait l’effet d’un cliché, non pas au sens de banalités ou de plats scénarios, mais au sens de « négatif » en photo. Comme une empreinte originelle qui s’est développée en accord avec la lumière et la dextérité adéquates et avec le temps approprié.

Alors, souriez, dites « cheeiiiise » ou « rougail sauciiiiiiisses ». Hervé Dalleau fera le reste.

Alice Dubard

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