[Trail] La Diag court après son impact environnemental

GRAND RAID

Réguler la fréquentation des espaces naturels pour leur protection, c’est ce que demandait en septembre 2022 le maire de Saint-Gervais, dans les Alpes, en pointant du doigt l’UTMB, un cousin de la Diagonale des Fous dans la famille des ultras-trail. A La Réunion, le Grand Raid fêtait cette année ses 31 ans. Trois décennies de courses à travers les cirques, espaces naturels protégés et classés, durant lesquelles des milliers de coureurs ont gravé leur nom dans la légende… tout en y laissant leur impact environnemental. Cette article, jamais publié, a été écrit il y a un an et résonne avec l’actualité d’une course désormais sponsorisée par Total. Le géant de l’énergie se voit soupçonné de mener une opération de green-washing.

Les trois jours du Grand Raid sont l’équivalent de 60 jours de fréquentation de randonnée classique. Les sentiers réunionnais en sont forcément impactés, notamment les centaines de marches qui parcourent Mafate conçues pour résister à la pression d’un marcheur, et non à la pression de centaines de coureurs en descente. Selon la météo, les équipes de l’Office National des Forêts (ONF) constatent aussi un élargissement des sentiers : les coureurs tentent d’éviter les flaques d’eau en passant sur les côtés. « Rien de bien inquiétant. » Cependant, selon l’ONF : « La nature étant bien faite, elle recolonise rapidement la zone piétinée. »

Limitation des impacts

En ce qui concerne les itinéraires des quatre courses qui composent le Grand Raid (La Diagonale des fous, le Trail de Bourbon, la Mascareignes et le Relais Zembrocal), ils sont co-construits entre les organisateurs de l’événement, le Parc National et l’ONF. « Toute action au cœur de Parc est réglementée, explique Isabelle Jurquet, responsable du service appui à l’aménagement et au développement durable. Le Parc est, à la fois, sous le plus haut statut de protection de nature, mais aussi un statut public. A La Réunion, nous ne sommes pas du tout dans une approche d’interdiction. On accompagne plutôt dans la limitation des impacts. » Ainsi, le sentier Augustave, qui longe le flanc Est du cirque de Mafate, a été exclu des courses, considéré comme trop fragile. C’est également le cas de La Roche Ecrite dont le tracé de La Diagonale a été détourné en 2010 pour protéger les tuit-tuits, oiseaux endémiques de l’île.

Pourtant, l’impact sur la flore endémique de l’île est indéniable. En 2017, le Parc National lançait une expérimentation sur le relais Zembrocal : à l’entrée du sentier des Trois sources à Saint-Joseph, les 115 coureurs devaient tapoter leurs chaussures sur une grille métallique installée au sol au-dessus d’un bac de récupération. Un kilo de terre a été récolté, dans lequel près de 600 graines de 25 espèces différentes ont germé. La totalité de ces plantes étaient exotiques. La moitié considérée comme envahissantes, voire très envahissantes. « C’est évident, les plantes voyagent dans les chaussures. Pendant le Grand Raid, des milliers de gens trimballent des milliers de graines. Des pays comme la Nouvelle-Zélande sont très sévères en matière de biosécurité : si vos chaussures sont sales, elles ne passent pas la douane, illustre Bernard Labrosse, responsable sentier à l’ONF Réunion. Nous sommes clairement en retard. »

Une heure de pénalité pour un déchet dans la nature

Marion s’est lancée pour la première année sur les sentiers réunionnais cette année. Avant qu’elle s’installe à La Réunion, le trail n’existait pas pour elle. C’est l’immersion dans la nature qui l’a poussée à chausser ses baskets. Sauf que depuis son inscription à la Mascareignes, elle s’est surprise à acheter toujours plus d’équipements : « On se rend rapidement compte que l’empreinte carbone du trailer n’est pas si basse, tous comme ses déchets. Par exemple, on se retrouve avec beaucoup de grignotages emballés individuellement (pates de fruit, barres etc). »

Pour lutter contre ces emballages volants, le Grand Raid fait signer à chaque participant la charte du Parc National qui stipule de respecter sa faune et sa flore, et donc, de ne pas polluer les espaces naturels traversés. Concrètement, les coureurs s’engagent en outre à utiliser un gobelet réutilisable ou encore un sac d’appoint pour leurs déchets. Les points de ravitaillement sont les seules zones où les coureurs peuvent jeter. L’article 17 du règlement de course prévoit d’ailleurs des sanctions contre les trailers pollueurs : un détritus dans la nature équivaut à 1 heures de pénalité, en cas de refus de ramassage et/ou récidive, c’est la disqualification immédiate. Après les courses, l’association du Grand Raid inspecte les sentiers. Elle a 48h pour faire disparaître toute trace de balisage dans la nature.

De 40 à 50 rotations en hélicoptères

Si le comportement des coureurs est encadré, celui des assistants de courses et des supporteurs ne l’est pas. « Le ravitaillement extérieur est autorisé et cette assistance campe parfois avec chapiteau pour attendre les coureurs. Elle entraîne des déchets non prévus et hors zone », dénonce Bernard Labrosse de l’ONF. Autre déchet pointé du doigt par Stéphane Payet, un bénévole de longue date de la Grande Chaloupe : les excréments des spectateurs de la course qui parsèment le site… Cette assistance implique aussi de nombreux déplacements en voiture : des centaines de kilomètres parcourus et des stationnements (souvent) problématiques. La route forestière qui monte au Col des Bœufs enregistre, par exemple, une fréquentation multipliée par 5 rien que le premier jour du Grand Raid. Sur les rangs des accusés, catégorie transport, on retrouve également les heures de tournage en hélicoptère par les chaînes de télévision locales.

Le Grand Raid doit sa renommée à la géographie unique de la Réunion. Les coureurs traversent ses trois cirques naturels de l’île : Salazie, Cilaos et Mafate. Ce dernier, uniquement accessible à pied nécessite une organisation particulière : entre 40 et 50 rotations en hélicoptère en moyenne sont effectuées vers les points de ravitaillement du cirque. Les 1,5 tonne de denrées que compte chaque voyage sembleraient difficilement transportables à dos d’hommes. Même si Isabelle Jurquet du Parc souligne « qu’on n’a jamais essayé ». Elle développe : « Ce n’est pas parce qu’on a toujours fait comme ça durant trente ans, qu’on ne doit pas essayer. On pourrait par exemple travailler avec des produits mafatais. » Valoriser les produits locaux est déjà l’un des axes sur lesquels les organisateurs travaillent : « Pour les achats des participants, on essaie de prendre le moins possible de la nourriture importée, qui soit respectueuse de l’environnement et sans trop d’emballages plastiques », détaille Stéphane André, responsable partenariat du Grand Raid.

Imaginer des démarches de compensations d’émission CO2

Les problématiques de la Diagonale des Fous et de ses courses-sœurs s’inscrivent en parallèle dans le défi de l’insularité. Si d’après une étude de 2014, l’empreinte carbone du Grand Raid est « négligeable » en comparaison avec des Jeux Olympiques, elle est tout de même 9 fois plus élevée qu’un événement sportif annuel en plein air comme le Tour de France. Pour cause : l’acheminement des coureurs par vols long-courrier. Si certains sportifs ont décidé de repenser leur façon de faire du trail et d’arrêter de prendre l’avion pour des courses à l’autre bout du monde, il serait difficile d’imaginer une Diagonale des Fous 100 % réunionnaise étant donné la renommée internationale qui colle aujourd’hui aux baskets de la course. D’autres solutions, moins radicales, sont suggérées : « On pourrait imaginer des démarches, comme des opérations de plantations d’arbres, pour compenser l’émission de CO2 », suggère la responsable du Parc National.

« On a le même type de problèmes qu’un pays, mais à l’échelle d’une course, estime Stéphane André, de l’organisation. On se développe ou on se protège ? Troisième option possible : on se développe en se protégeant… mais là, c’est un véritable chemin de crête. » Car les chiffres sont là : les retombées économiques des courses sont estimées à 9,4 millions d’euros selon l’Observatoire Régional du Tourisme. En 2015, pas moins de 83 % des chambres d’hôtel de l’île étaient occupées durant l’événement soit 7 points de plus que la semaine précédente. Même constat du côté des compagnies aériennes qui affichent des vols aux taux de remplissage record. Le Grand Raid est pour La Réunion une véritable vitrine touristique.

Vers un nouveau modèle touristique ?

« Certes, il y a des retombées économiques, mais sont-elles justes ?, interroge Tiphaine, référente transition énergétique chez Greenpeace Réunion. Quand on voit que les logements saisonniers sont pleins alors que la population locale demande sans cesse des logements décents, on peut se poser la question… » L’activiste milite pour un modèle plus raisonnable, sans pour autant « revenir à la bougie ou annuler la course ». Elle souhaiterait des discussions entre organisateurs, associations et habitants pour les prochaines décennies de la course : « Le Grand Raid est connu mondialement, il pourrait être porteur d’un message de référence. Mais ça demande du courage de repenser la totalité de l’événement. »

Au Parc National, on aimerait faire rimer ce boom touristique avec « une approche plus durable du tourisme à La Réunion ». Ce pourquoi milite Gaëtan Hoarau, président de l’association citoyenne de Saint-Pierre, dont l’un des chevaux de bataille est le changement de modèle touristique réunionnais qu’il qualifie de « champion de l’ivresse énergétique ». Pour lui, « le Grand Raid participe indirectement à cette idée que la Réunion devrait être vue depuis le ciel, ce qui nous tue. Griller du kérosène à longueur de journée est une hérésie ». Le Grand Raid devrait profiter de sa notoriété pour porter un discours plus respectueux de l’environnement, selon lui. Pour le président de l’association saint-pierroise, il s’agit avant tout d’un devoir moral : « Le Grand Raid exploite le patrimoine naturel, donc il se doit de s’impliquer dans les bonnes pratiques. C’est sa responsabilité. »

Laureline Pinjon

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